Alors que plusieurs actes délictueux ayant porté atteinte à l’intégrité physique et morale d’athlètes ont été révélés ces derniers mois, la ministre des Sports, Roxana Maracineanu, s’est livrée, le 1er juillet, à un point d’étape sur le suivi de ces affaires et sur la mise en place du dispositif destiné à lutter contre ces dérives dévastatrices.

Le poids des chiffres

Les statistiques officialisées à l’occasion de cette conférence de presse font froid dans le dos et disent toute l’urgence qu’il y a à stopper l’hémorragie. En effet, au 1er juin, la cellule dédiée au traitement des signalements avait recensé 177 personnes mises en cause, dans 67 départements, pour des affaires de violences, impliquant, par là-même, 40 Fédérations sportives. « Il n’y a pas de règle car les disciplines en question sont très variées », a toutefois précisé Roxana Maracineanu. Chacun de ces signalements a donné lieu à une enquête administrative de la part des Directions Départementales de la Cohésion Sociale et de la Protection des Populations (DDCS-PP). 88 d’entre elles sont d’ailleurs encore en cours. Chaque enquête peut déboucher sur des mesures de police administrative (interdiction en urgence d’exercer pendant six mois, notification d’incapacité d’exercer en cas de récidive…)  prises sous l’autorité du Préfet.

De surcroît, le détail de ces données donne un aperçu affiné des auteurs de ces délits et des victimes qui en sont préférentiellement la cible. Ainsi :

  • sur les 177 affaires suivies actuellement par la cellule, 22 % sont le fruit de signalements émanant des victimes, 28 % des Fédérations et 25 % des services de l’État (ministère des Sports et DRJSCS) ;
  • 78 % des victimes sont des femmes, sachant que 98 % des victimes étaient mineures au moment des faits ;
  • 76 % des agissements dénoncés concernent des viols ou des agressions sexuelles ;
  • sur les 177 personnes mises en cause, 110 (62 %) sont des éducateurs sportifs dont 83 étaient rémunérés (seuls 36 de ces derniers possédaient une carte professionnelle valide) et 27 des bénévoles ; 25 (14 %) sont des exploitants d’établissements d’activité physique et sportive ; 13 sont des pratiquants sportifs ; 8 avaient un statut d’agent public au moment des faits dont 5 (3 CTS) font l’objet d’une enquête administrative en cours ;
  • 67 mesures d’interdiction d’exercer ont été prononcées par les Préfets contre des éducateurs sportifs entre le 1er décembre 2019 et le 1er juin dernier (contre 63 entre 2007 et 2018) tandis que 65 mesures disciplinaires ont été décidées par les Fédérations.

Que faire ?

Pour enrayer cette spirale infernale, le ministère entend d’abord sécuriser tous les circuits administratifs, c’est-à-dire améliorer l’articulation avec les Directions Départementales et les Fédérations « pour être sûr qu’aucun cas ne passe entre les mailles du filet et que l’on puisse traiter tous les signalements ». Parallèlement, l’honorabilité des 1 538 Conseillers Techniques Sportifs (CTS) a été vérifiée. L’occasion pour ceux qui n’avaient pas leur carte professionnelle de régulariser leur situation. Il est prévu, à partir de janvier 2021, d’étendre ce contrôle à tous les bénévoles licenciés au sein des Fédérations en se connectant à un système automatisé actuellement en cours d’élaboration avec le Comité National Olympique et Sportif Français (CNOSF), le Comité Paralympique et Sportif Français (CPSF) et les Fédérations. En l’occurrence, une plate-forme qui permettra de croiser automatiquement les données personnelles des bénévoles avec celles du Fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes (FIJAISV). À noter que pour compléter cet arsenal, un référent en charge de ces questions a été nommé dans 64 Fédération avec lesquelles le Gouvernement souhaite « affiner les modalités de fonctionnement ».

Plus largement, un Plan national de prévention des violences sexuelles dans le sport sera déployé dans tous les clubs et les territoires à la rentrée prochaine, en particulier afin de « déterminer la meilleure manière d’articuler les mesures administratives et pénales et les sanctions disciplinaires fédérales ». Sachant que les Fédérations ont des approches parfois différentes de cette problématique. Certaines ont, par exemple, mis en place des cellules spécifiques de libération de la parole quand d’autres signalent systématiquement tout fait suspect au ministère ou ont conventionné avec les associations nationales d’aide aux victimes. Toujours est-il que ledit plan sera le fruit d’une « coconstruction avec le mouvement sportif, les collectivité locales, les associations de victimes, les établissements, les services du ministère et les branches professionnelles ». Il insérera dans un plan plus global sur l’éthique et l’intégrité dans le sport.

Pour aller plus loin, l’État veut, au sein des services déconcentrés du ministère, accompagner la formation des agents en charge de mener les enquêtes et les contrôles mais également optimiser les conditions de recueil de la parole des victimes. Quitte à envisager le dépaysement au profit d’un autre département des affaires sensibles. Pour ce qui est des Fédérations, il est, là aussi, nécessaire de les épauler, en lien avec le CNOSF et le CPSF, dans la conduite des procédures disciplinaires et l’amendement des règlements disciplinaires afin de « renforcer d’éventuelles mesures conservatoires à l’encontre d’un licencié ». Dans cette optique, la commission juridique du CNOSF a proposé ses services aux Fédérations tandis qu’un espace dédié à la lutte contre les violences sexuelles figurera dans le centre-ressources que met en place le CNOSF.

Communication, sensibilisation et formation

On l’aura compris, les pouvoirs publics entendent diligenter une action à large spectre et tous azimuts pour « changer de modèle et que tous les pratiquants se sentent en sécurité ». Cela passe, en amont, par l’élaboration d’outils de sensibilisation – tel que le nouveau clip vidéo du ministère intitulé « Prévention des violences dans le sport – Tous Concernés » – des acteurs sur le sujet, notamment d’un kit de communication mis à la disposition des Fédérations, des clubs, des associations, des salles de sport ainsi que des collectivités. Une campagne d’information qui sera complémentaire des actions des associations de protection de l’enfance. Autre priorité, la consolidation des contenus de formation (initiale et continue) à l’intention des éducateurs mais également, à moyen terme, des dirigeants, des arbitres et des sportifs eux-mêmes. Car le fléau ne connaît pas de limite alors que, selon les mots de Fabienne Bourdais, la déléguée ministérielle en charge des violences dans le sport, « le sport a vocation à être un endroit où l’on peut travailler sur l’éducation et la prévention notamment pour parler du rapport au corps ».

Alexandre Terrini