Claude Revert est un anonyme d’une grandeur et d’un panache admirables. Rompu à la souffrance physique et morale qu’une santé déficiente et la cruauté des hommes lui ont concomitamment infligée, il s’est systématiquement relevé. Le voilà, aujourd’hui, coureur émérite, toujours enclin à repousser ses limites1.
Ce n’est pas lui faire injure que de suggérer que son existence eut pu être narrée par l’immense Victor Hugo dans « Les Misérables ». Il y eut alors campé le frère de Cosette. Claude Revert a eu cinquante printemps qui n’en ont pas toujours été. Le destin lui a d’emblée singulièrement compliqué la tâche puisqu’il est né en étant atteint d’une pathologie génétique et rare, la maladie de Hirschsprung. Pour la faire simple, il s’agit d’une absence de cellules ganglionnaires nerveuses dans le tube digestif. Laquelle génère une réaction en chaîne, en l’occurrence, une défection chronique des mouvements automatiques de l’intestin qui, habituellement, assurent le transit du bol alimentaire avec, à la clef, toute une série de graves désagréments allant de l’occlusion à l’hémorragie.
Enfant de la Ddass, Claude Revert n’a appris à marcher qu’à l’âge de six ans par la grâce de la dame qui veillait sur lui. Jusque-là, les médecins avaient en effet décrété, du haut de leur fatuité, qu’il devait s’en abstenir sous peine de devenir invalide. Cette bienfaitrice étant âgée, il fut confié, à treize ans, à une famille d’accueil. Au fil des années, le quotidien vira au cauchemar, le père adoptif battant régulièrement l’adolescent. A dix-huit ans, Claude Revert choisit donc de quitter le giron de la Ddass et d’intégrer l’Armée. Après avoir été recalé suite à un énième malaise intestinal durant la fatidique période des trois jours, il fut finalement admis, un an plus tard, dans les rangs de la Grande Muette, dans le 68e Régiment d’artillerie d’Afrique. Le mauvais sort s’acharnant inexorablement, le nouvel engagé tomba la tête la première, après avoir glissé, sur un râtelier d’armes et en fut quitte pour un trauma facial. Dans la foulée, il fut envoyé en tant que Casque bleu au Cambodge où la mort, sous ses yeux, d’un local lors d’un accident de moto le plongea dans un état de détresse psychologique. Au point d’être rapatrié et soigné dans un service de psychiatrie après avoir refusé de retourner chez les Thénardier qui l’avaient maltraité. Finalement réformé, l’ancien militaire partit en Normandie suivre une formation de paysagiste. Laquelle n’aboutit pas à cause de ses problèmes de santé. Ce qui ne découragea pas pour autant cet être d’une ténacité venue d’ailleurs.
S’élancer systématiquement à jeun, été comme hiver, quelle que soit la température
Claude Revert fit alors le choix de s’engager dans le secteur associatif et sportif. Il fut parallèlement recruté au service courrier de la Française des Jeux mais ne fut pas titularisé en CDI, toujours en raison de ses satanés troubles digestifs. En 2019, il mit son sort entre les mains d’un chirurgien qui procéda à une ablation du rectum… sans l’en avertir préalablement et encore moins a posteriori ni prendre soin de lui exposer les conséquences d’un tel acte, en particulier l’incontinence. Ce n’est que dix-huit mois plus tard, à l’occasion d’une nouvelle batterie d’examens, qu’il découvrit ce qu’on lui avait infligé à l’insu de son plein gré. L’affaire est, depuis, entre les mains des avocats et de la justice…
Reconnu comme invalide en 2018, en tant que victime d’un syndrome post-traumatique, l’intéressé est notamment membre des Gueules cassées ainsi que de Solidarité et Défense, deux institutions qui viennent en aide aux soldats meurtris dans leur chair et leur âme. Il compte, en outre, parmi ses amis des runners. De quoi l’inciter à franchir le cap, en 2016, après avoir relevé un pari conclu avec l’un de ses comparses : finir un semi-marathon. A son programme, désormais, et au gré du calendrier, des dix kilomètres, des semis et même des marathons avec, tout de même, un record personnel de 4 heures 18 minutes. Pour cela, il lui a fallu modeler son organisme afin de l’accoutumer aux contraintes physiologiques auxquelles il est soumis. En effet, dès qu’il ingère aussi bien un aliment que la moindre boisson, Claude Revert est obligé d’aller aux toilettes dans les minutes qui suivent sans pouvoir profiter d’un temps minimal de digestion. Pour éviter pareil désagrément en course, il s’astreint à s’élancer systématiquement à jeun, été comme hiver, quelle que soit la température. Et à s’interdire de manger ou de se désaltérer sur le parcours. Au début, il lui est arrivé de s’écrouler, tétanisé par de telles privations. Pas chien, son corps ne l’a, cette fois, pas abandonné sur le bitume et s’est progressivement habitué à tourner quasiment sans essence dans le moteur. On imagine toutefois ce que cela induit non seulement en termes d’inconfort et de sensation permanente de faim et de soif mais surtout de déficit énergétique, a fortiori lorsque la distance est conséquente. Mais l’homme n’a pas d’autre choix, quitte à éprouver une fatigue quasi constante. C’est à ce prix qu’il arrive à gérer sans déconvenue majeure son transit durant l’effort, sachant que, paradoxalement, la station allongée lui est beaucoup plus pénible pour se contenir que le fait d’être debout.
« Quand je franchis la ligne d’arrivée, je me dis que je suis comme tout le monde »
« A force de volonté, la course à pied m’aide à me dépasser, confesse-t-il avec une infinie pudeur. Je veux montrer qu’il ne faut jamais baisser les bras. Même si j’ai enduré des choses horribles, je me dois de continuer à avancer. J’ai besoin de toujours m’imposer des défis et, dans ma tête, je ne suis pas un athlète handi. Quand je franchis la ligne d’arrivée, je me dis que je suis comme tout le monde. C’est comme cela que je tiens et que je suis toujours là. » Et jamais seul, au demeurant. Potentiellement sujet à des indispositions loin d’être anodines, ce Parisien gambade à raison, en moyenne, de quatre séances hebdomadaires, toujours accompagné, le plus souvent avec ses acolytes d’Adidas Runners. Au fil des sorties, nombreux sont ceux qui n’ignorent plus ses souffrances ni leur origine.
Pour ses cinquante ans, qu’il a fêtés le 22 août dernier, Claude Revert s’est lancé un énième challenge. Entouré de copains joggers mais aussi d’adhérents de la section triathlon du Stade Français, discipline à laquelle il entend bien s’initier prochainement tout comme au trail, il a arpenté, le 9 janvier, le GR 75 qui fait le tour de Paris. Soit cinquante bornes enquillées en six heures et des poussières, en plein hiver, avec un départ et une arrivée Porte de la Villette. On imagine le chemin de croix, a fortiori sous un temps plus que frisquet et pluvieux. « Cela a été infiniment dur mais j’ai tenu », sourit si humblement celui qui siège, depuis un an, au sein des commissions Civisme et Mémoire, Sport En et Paris 2024 du CROS Île-de-France, à l’invitation d’Evelyne Ciriegi. La Présidente du Comité a forcément été touchée par l’itinéraire de cet authentique bénévole qui a également écrit son histoire sur papier, dans un ouvrage intitulé « Coup droit pour un… Revert » (Gilles Gallas éditeur). « Au CROS, j’apporte mon expérience et mon vécu. J’ai vraiment le sentiment d’être pris en compte. Je ne suis pas là pour servir de caution », apprécie cet avaleur de macadam qui ne puise on en sait où la force de s’oublier pour mieux penser aux autres.
1 Claude Revert est enclin à témoigner de son histoire. On peut le contacter par téléphone au 06 69 24 90 76.
Alexandre Terrini